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DEFENSE AERIENNE DU TERRITOIRE

12° ESCADRE DE CHASSE, CAMBRAI-EPINOY

ESCADRON DE CHASSE 2/12 " PICARDIE "

ESCADRILLE DES PERROQUETS

ACCUEIL AU 2/12

 

 

Notre permission terminée, Jean-Claude, Jean-François et moi, nous nous présentons à la 12° Escadre de Chasse à CAMBRAI-EPINOY.

Je suis affecté à l'Escadron de Chasse 2/12 " PICARDIE ", Escadrille des Perroquets et J-C et J-F sont répartis dans les deux autres escadrons.

La 12 possède 75 MD 450 OURAGAN, 25 par escadron, une centaine de pilotes et beaucoup de nos indispensables Mécaniciens sans compter les " PAILLEUX " ( Ce sont les chevaliers du stylo à bille que l'on appelle ainsi ).

Le 2/12 a été créé un mois avant mon arrivée. Autant dire que je fais partie des fondateurs.

J'ai droit au bizutage habituel avec toutes les brimades que peuvent inventer des jeunes de 20 à 25 ans pour accueillir les nouveaux. Elles sont très drôles pour ceux qui les infligent mais ceux qui les subissent font un gros effort pour garder le sourire. De plus, j'ignore que cette coûtume existe et je prends l'accueil qui m'est fait au sérieux donc, plutôt mal.

Tout d'abord, je vais me présenter au Commandant d'Escadron. A ma grande surprise, c'est un vieillard de 40 ans bien sonnés, Capitaine de son état, vieille noblesse bien d'cheux nous ( De ceux qui ont laissé tomber leur nom par terre et l'ont ramassé en plusieurs morceaux, à une époque indéterminée. ) qui me reçoit comme un chien dans un jeu de quilles, en compagnie de son Lieutenant d'adjoint.

Je suis au garde-à-vous, le regard fixé sur la ligne bleue des Vosges, et j'attends. Je suis toisé d'un oeil qui se veut perçant et impressionnant ( Le genre OEIL DE FAUCON dit LE VRAI ). Après 30 secondes de silence. << CHEVILLET. Sergent.Vous avez fait votre école aux US. On ne vous a appris que des conneries là-bas. Je vois que vous n'avez que votre Certificat d'Etudes Primaires et, en plus, vous étiez plombier >>. Le ton est de plus en plus méprisant.

Se tournant vers son adjoint, il ajoute << Je ne savais pas qu'on faisait des Chasseurs avec des demi-analphabètes à présent. Ils recrutent vraiment n'importe quoi ! Si ça continue on recevra des Pilotes qui ne savent ni lire, ni écrire. >>; L'adjoint hoche si consciencieusement la tête que son arrière-train, qu'il a fort large, se balance en sens inverse. In petto, je le baptise " La Bergeronnette ", vous savez, ce petit oiseau appelé communément " Hoche-queue " ?

Revenant à moi, le Capitaine ajoute << Oubliez toutes les conneries américaines. Ici on vous apprendra à piloter comme un Chasseur. Vous pouvez disposer. >>.

Ce n'est pas vraiment l'accueil dont je rêvais depuis près de 8 ans. Dans ma tête c'était celui du nouveau Chevalier accueilli par ses pairs qui prenait sa place à la Table Ronde du Roi Arthur. C'est-lou-pé !

Je me vengerai un mois plus tard, lors de la journée portes ouvertes.

On m'avait placé dans un OURAGAN, avec une échelle de chaque côté de la cabine, pour répondre aux questions des visiteurs qui étaient surtout intéressés par le collimateur et la détente des canons.

A un moment, j'eus affaire à un monsieur très affable et très distingué qui portait un grand intérêt à l'aviation de Chasse et qui resta une bonne demi-heure à me questionner. Au moment de partir il insista pour me remettre l'équivalent actuel de 200 francs à titre de don pour la caisse d'Escadron.

Je l'ai remercié avec effusion et, dès mon service fini, j'ai foncé au bureau du Vieux et après m'être présenté réglementairement je lui ai remis l'argent en lui expliquant que c'était pour la caisse noire. << C'est en quel honneur CHEVILLET ? >>. Moi, avec mon air le plus innocent. << Mon capitaine, c'est un monsieur à qui je montrais l'OURAGAN qui m'a demandé si nous mangions bien. Je lui ai dit la vérité, que la bouffe était dégueulasse et insuffisante et que, sans les colis de mes parents, je ne tiendrais pas le coup. Alors il m'a donné 200 francs pour m'acheter des casse-croûtes mais je préfère le verser à la caisse noire pour que les copains en profitent aussi. >>. ( En réalité la nourriture était copieuse et très bonne. )

Le Vieux lévitait, littéralement, à 15 centimètres au-dessus de son siège. Il était presque violet de rage. << Mais vous vous rendez compte de ce que vous avez fait. Vous déshonorez la Chasse, vous déshonorez l'Armée de l'Air. Vous êtes ignoble. Foutez-moi le camp, Je ne veux plus vous voir. >>. J'ai juste eu le temps de sortir de son bureau avant de piquer une crise de fou-rire. Il a, quand même, gardé les 200 Francs.

Evidemment, après ce coup-là, nos relations étaient assez tendues. Tous les sous-offs, auxquels j'avais raconté l'histoire, s'en sont payé une bonne tranche mais les officiers, eux, me regardaient d'un sale oeil tout en me prenant pour un demeuré. Même s'ils avaient su que c'était une blague, à leurs yeux, j'aurais été coupable d'un crime de lèse-officier. Vous vous rendez compte, un Sergent, faire une blague à un Capitaine ! Ces jeunes, y respectent pus rien. Où va la FRANCE, ma pauv'dame ? Tout ça finira mal, moi j'vous l'dit......

Revenons à nos moutons. Mon fou-rire passé je me suis présenté à mon commandant d'Escadrille, le Lieutenant LEROY, un garçon de 3 ou 4 ans mon aîné, extrêmement sympa et chaleureux, et, comme je le verrai par la suite, très bon pédagogue et excellent Pilote qui prenait le plus grand soin de ses équipiers en vol. Bref, un Chef-né comme je les aime et que je suivrais partout sans poser de question. Son accueil m'a remis du baume au coeur.

Je suis gâté car, en plus, le Patron de l'Escadre est le Colonel Jacques ANDRIEUX, " Jaco Leader ", un des héros des Forces Aériennes Françaises Libres qui était passé en ANGLETERRE en 1940. As de guerre aux 6 victoires homologuées plus 4 probables, il avait commencé la guerre comme sous-off et se montrait très sympa avec nous. Un Chef vénéré et un Exemple vivant dont je vous reparlerai.

Le bizutage terminé, l'ambiance était assez sympa mais l'accueil du Vieux m'est resté en travers de la gorge et je me sens un peu étranger dans ce milieu composé à 60 ou 80% de garçons issus de la bourgeoisie, petite ou grande. Ils sont très sympas mais je n'ai pas les moyens financiers de les fréquenter car je donnerai la moitié de ma solde à mes Parents jusqu'à mon mariage, à 29 ans, et beaucoup d'entre eux recoivent de l'argent des leurs et, pour certains, une DYNA PANHARD décapotable, la voiture du Pilote de Chasse. La solde n'est qu'une petite partie de leurs revenus. Je resterai dans mon petit groupe de copains aux revenus modestes car il est impossible de fréquenter des gens qui prennent le menu à 300 Francs, au restaurant, quand on ne peut se payer que celui à 50 Francs, à moins de jouer les pique-assiettes.

Ni J-C, ni J-F, ni moi n'étions génés de notre relative impécuniosité. Nous avions été habitués, par nos parents, à vivre avec peu d'argent et nous ne désirions même pas avoir une voiture ou tous ces trucs coûteux que nous ne pouvions pas nous payer. Il faut savoir vivre heureux avec ce que l'on a, sinon on arrive rapidement à avoir un ulcère à l'estomac. Et puis, nous avions un avion de chasse, c'était beaucoup mieux qu'une voiture fut-elle de sport !

Prochaine page : LE MD 540 OURAGAN.

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