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WACO, TEXAS
JAMES CONNALLY AIR FORCE BASE
AIR TRAINING COMMAND
JET ADVANCE TRAINING SCHOOL
LE BREVET DE PILOTE MILITAIRE,
LA VIE MILITAIRE VUE PAR " PAPA "
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1° - LE BREVET DE PILOTE MILITAIRE, SPECIALITE CHASSE:
15 mars 1954, me voici, enfin, porteur de mon macaron Français et de mes ailes américaines.
Il y a sept ans que je travaille dans ce but.
Voici les deux insignes :
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Voici quelques camarades Français de la promotion :
Debouts et de gauche à droite :
Paul DUTHIL, Lucien SANSOT, Jean-Claude CAMBIER, Guy COPPEL, Pierre CLARY et Gérard VIGNERON.
Accroupis et de gauche à droite :
Bernard QUINTON et Jean-Marie STANISIERE.
Ne me cherchez pas, je suis le photographe.
Du premier au dernier vol il s'est écoulé 11 mois et 18 jours durant lesquels j'ai fait 266 heures 35 de vol d'instruction et subi plusieurs centaines d'heures de cours théoriques sans compter les heures de Link-trainer.
L'organisation Américaine c'est du super sérieux. Rien n'est laissé au hasard et tout se déroule au chronomètre.
Rien à voir avec le bon vieux merdier, cher aux Gaulois, dont Jules César parlait déjà dans " De la guerre des Gaules ".
La remise des brevets de Pilote et des commissions d'officiers ( Aux Américains ) à la promotion 54-E fut une cérémonie grandiose, à l'Américaine, avec défilé, musique militaire ( Les Ricains défilent sur des airs de danse sur lesquels les Français ont adapté des paroles grivoises. Les plus célèbres étant " Mais oui je sens bien tu m'la mis, ce n'est plus ton p'tit doigt qui m'chatouille ", etc. ) et des tas de discours sur nos éminentes qualités d'élite de la Nation, de gentlemen et d'officiers du meilleur pays du monde que nous défendrons jusqu'à la mort contre l'Antéchrist, ces ignobles Communistes avident de supprimer l'American way of life, toutes nos libertés, de souiller la virginité des tendres jeunes filles Américaines, de donner l'argent des riches aux pauvres, etc, etc.( Je ne pense pas qu'ils feraient tant d'histoire avec la virginité de leurs nanas mais toucher à leur fric, alors là ! ), etc, etc. Que Dieu protège l'Amérique !
Le tout ponctué par les applaudissements des familles et des petites copines ( Les familles des Ricains étaient venues au frais de l'US AIR FORCE mais pas celles des étrangers car, à cet époque, un tel voyage était très onéreux ).
C'était impressionnant de sentir une telle unité de la population et de son Armée, surtout quand on sait combien les Français détestent la leur , particulièrement nos Camarades du Parti Soviétique Français qui nous considèrent comme des " Sociaux-Traitres, alliés des Ploutocrates Impérialistes Exploitants de la Classe Ouvrière, etc, etc.". Pour un peu on y aurait cru.
Nous étions 24 Français rescapés de l'entraînement.
La cérémonie terminée, changement de décors.
Les Américains étant devenus officiers vont loger dans les B.O.Q ( Bachelors Officers Quarters = Logement des officiers célibataires ) et les pauvres couillons d'étrangers, que leur pays a gracieusement nommés Sergent, sont invités à quitter les lieux à destination des logements de Sous-officiers qui sont beaucoup moins confortables. Idem pour le Mess ( Cantine ). Bref, pour nous, la réussite se traduit par une nette diminution de nos conditions de vie. ( 25 ans plus tard la FRANCE adoptera le système Américain et nommera officiers tous les jeunes Pilotes sortant d'école de pilotage. Hé oui ! Les jeunes des années 1980 n'étaient plus aussi idéalistes que nous l'étions et pas fanas du tout de crever pour la Gloire. Ils voulaient être payés décemment alors, pour en trouver, il fallait les lâcher. La fameuse loi de l'offre et de la demande ! ).
Il y a des mouvements divers car tout cela paraît très injuste. Après tout nous avons suivi le même entraînement alors cette ségrégation nous vexe.
En plus, un " Private third class " ( Soldat de 3° classe ) se pointe dans la salle et dépose une boîte en carton sur une table en disant " Les Français qui veulent un insigne de leur pays n'ont qu'à se servir ". Le comble c'est que les insignes, numérotés, n'ont pas les numéros correspondants à nos brevets et j'ai porté, ainsi, pendant toute ma carrière, un insigne de Pilote qui n'était pas le mien. Quand on voyait avec quelle cérémonie on nous avait remis les Ailes Américaines, nous étions outrés.
2° - LA VIE MILITAIRE VUE PAR " PAPA ":
Heureusement, " Papa ", notre truculent sous-off de carrière, donne aux 6 ou 7 d'entre nous qui veulent bien l'écouter des explications sur la vie militaire, en France, qui ramènent la bonne humeur en nous faisant éclater de rire.
Notez que ce qui va suivre s'applique aussi très bien dans la Fonction Publique et le Privé, il suffit de changer les grades et le nom des administrations ou des entreprises par les appelations utilisées dans ces branches.
Comme j'ai travaillé dans le civil, de 14 à 18 ans, avant d'être militaire, je sais de quoi je parle et je peux témoigner que les relations hiérarchiques et humaines ainsi que l'organisation du travail sont bien meilleures dans l'Armée de l'Air que dans les entreprises du secteur privé, même si elles ne sont pas parfaites mais, rien ni personne ne l'est.
LES MAXIMES DE " PAPA " :
1°- L'injustice est la base de la discipline.
2°- C'est toujours les mêmes qui sont baisés et il n'y a pas de raisons que ça change.
3°- Il faut toujours baiser les mêmes c'est comme ça qu'on a le minimum de mécontents ( Maxime du parfait p'tit-chef et Dieu sait s'il y en a ).
4°- Un militaire c'est pas fait pour plaire, c'est fait pour faire peur.
5°- Un militaire n'a aucun droit, il n'a que des devoirs ( Plus il est bas dans la hiérarchie, plus il a de devoirs, contrairement à ce qu'on pourrait croire ).
6°- Les permissions ne sont pas un droit mais une faveur.
7°- Tout ce qui n'est pas strictement interdit est obligatoire.
8°- Chercher à comprendre, c'est commencer à désobéir !
9°- On est militaire 24 heures sur 24, 365 jours par an et 366 les années bissextiles.
10°- T'as signé, c'est pour en chier !
11°- Vous serez toujours récompensés en la personne de vos chefs. ( Si vous avez bien travaillé, c'est parce que le chef a su vous insufler le sens de la mission, du devoir, du sacrifice, la conscience professionnelle, etc, etc. Il est donc normal qu'il soit promu au grade supérieur. Si vous avez bâclé votre travail c'est parce que vous faites du mauvais esprit mais, grâce au dévouement du chef, les dégâts sont minimes donc vous serez puni et il sera promu, quand même, au grade supérieur ).
12°- Quand on a pressé le citron ( Vous ) et qu'il n'a plus de jus, on jette l'écorce.
13°- Un militaire doit avoir l'intelligence de son grade ( Il est très mal vu d'en avoir plus par contre, en avoir nettement moins est très bien accepté ).
14°- A quoi sert d'être le plus fort si on n'abuse pas de sa force ?
15°- Pourquoi s'emmerder soi-même quand on peut emmerder les autres ?
16°- Pourquoi faire simple quand on peut compliquer à loisir ?
17°- Faire et défaire c'est toujours travailler.
18°- Ce que vous pouvez attendre de vos chefs sur le plan professionnel :
- Le sous-lieutenant sait tout et fait tout,
- Le lieutenant sait tout et ne fait rien,
- Le capitaine ne sait rien et ne fait rien,
- Le commandant signe,
- Le colonel approuve,
- Le général s'étonne et ne comprend pas.
19°- La considération que vous pouvez attendre des officiers:
- Un général Pilote célèbre, nous dit-il, termina ainsi son allocution à une promotion d'officiers-Pilotes, à l'école de l'Air. " Messieurs les officiers, n'oubliez jamais que les sous-officiers Pilotes ne sont qu'une paire de couilles, surmontées d'un tube digestif, le tout couronné d'une casquette blanche. ".
Il paraît que les sous-off Pilotes, horriblement vexés, firent courir le bruit que les officiers, c'était la même chose avec les couilles en moins, la preuve c'est qu'il fallait voir avec quel enthousiasme leurs bobonnes se faisaient sauter par les sous-offs dès que leurs officiers de maris avaient le dos tourné. ( Je suis d'accord avec vous, mettre ainsi les Dames en cause est indigne d'hommes d'honneur, surtout quand c'est aussi manifestement faux mais, la colère fait souvent dire des choses regrettables )
Nous étions écroulés de rire.
Comme vous le voyez, on s'amusait bien, dans l'Armée de l'Air, à cette époque. Le tout c'était de prendre les choses du bon côté.
Bien sûr, c'est une description très outrée de la vie militaire et des rapports hiérarchiques de l'époque mais, au fond, c'est assez vrai si l'on considère que nous n'avions pas le droit de vote et qu'il fallait l'autorisation du chef de corps pour se marier bref, il y avait une grande ingérence de l'armée dans le peu de vie privée qu'elle vous laissait.
A un moment, entre le brevet et la fin de la " Gunnery ", nous fûmes six à être convoqués par un officier Français qui se présenta comme un membre de la Délégation Air aux USA. Surprise, nous ne savions même pas qu'elle existait !
Il nous expliqua que les 25% de premiers de la promotion seraient nommés officier, au retour en FRANCE, et que nous étions ces 25%. Il en profita pour nous donner notre classement Français ( J'étais quatrième sur 24 ) et nous eumes droit a une resucée de félicitations, de rappels de nos Devoirs envers la Patrie, le Monde Libre, pour la plus grande gloire des Armes de la FRANCE, pour la Grandeur de la FRANCE, etc, etc, et je l'écoutais en me demandant ce que ce Grand Patriote faisait là au lieu de combattre à DIEN BIEN PHU.
Il est curieux que les foudres de guerre ne combattent jamais. Ils se sont tous portés volontaires pour aller au combat mais leurs qualités professionnelles sont telles que leur chef les trouve indispensables, très loin à l'arrière, et refuse de les laisser partir au front. Alors, désespérés, ils ne peuvent qu'encourager les moins bons à bien se battre et s'ils prennent les meilleures places en l'absence des combattants ce n'est pas de leur faute, c'est juste parce qu'ils sont les meilleurs. D'ailleurs, lorsque, la guerre finie, un combattant leur fait remarquer qu'ils se sont réservés les bonnes places ils lui répondent qu'il n'a pas à se plaindre puisque lui, il a eu la chance et l'honneur de pouvoir combattre pour la Patrie. Fermez le Ban !
Le plus souvent, ils se réunissent, les dimanches vers 11 heures, pour observer une minute de silence au Monument aux Morts, puis, pour se remettre de leur émotion, ils foncent, tous ensemble, effectuer un grand gueuleton à la santé des disparus.
Je m'étais engagé pour défendre les femmes, les enfants, les vieillards et les pauvres car les abstractions types Patrie, Grandeur et Gloire me laissaient d'autant plus froid que j'avais lu qu'à chaque fois que la Grandeur de la FRANCE et la Gloire de ses Armes étaient à leur apogée, la grande majorité des Français crevaient de faim et que les libertés individuelles étaient à leur périgée.
L'idée d'être officier ne m'attirait pas trop. Après tout, je m'étais engagé pour être Pilote de Chasse, seul dans ma machine, et non pour commander car je me trouvais un peu trop jeune et trop inexpérimenté pour prendre des décisions qui mettraient en cause la vie des autres. Etre Chef de troupe Scout est une chose différente du commandement en temps de guerre et c'était pour guerroyer que je m'étais engagé.
Je n'ai rien dit en pensant que j'aurai jusqu'à notre retour en FRANCE pour prendre ma décision. En fait, quelqu'un l'a prise à ma place mais c'est une autre histoire.
Avant de partir en " GUNNERY ", nous touchons notre " CARTE BLANCHE ", valable un an, qui atteste de nos capacités à voler sans visibilité. Elle est valable dans toutes les Armées de l'Air faisant partie de l'OTAN.
La carte ci-dessous date de 1964 mais celle que j'ai reçue en 1954 était exactement la même.
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ET MAINTENANT, LA " GUNNERY ".
Mon e-mail : pluhaut@aol.com