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GREENVILLE AIR FORCE BASE, TEXAS
AIR TRAINING COMMAND
ADVANCE TRAINING SCHOOL
LACHER SUR T 28 ET TRANCHES DE VIE DANS LE MISSISSIPI
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1°- MON LACHER SUR T 28 A :
Je suis le premier élève de la promotion US 54 E ( On dit 54 Echo ) à être lâché solo sur T 28 avec, seulement, 2 heures 55 de DC.
Mon instructeur me remet en grande cérémonie le serre-tête blanc et les lunettes qui récompensent ma performance ( Voir photo ci-dessus: Myself, en personne, et mon air modeste de circonstance ).
Sur PA 18 et sur T 6, il fallait faire 08 heures de DC avant d'être lâché. L'instructeur descendait de l'avion sur le chemin de roulement et nous partions seul dans la foulée.
Là, on nous fait sentir que nous sommes considérés comme de grands garçons. L'instructeur nous lâche quand il juge que nous en sommes capables. Pas de minimum d'heures obligatoires avant le lâcher.
Nous rentrons au parking, nous arrêtons la batteuse ( Hélice ) et ne repartons, tout seul, que 1 ou 2 heures après, voire le lendemain, sans être accompagné, jusqu'à l'avion, par un instructeur plus où moins anxieux. On nous traite en Pilote.
Donc, je pars pour mon solo. Les copains sont verts de jalousie et certains me font des réflexions amusantes, certes, mais à la limite de l'insulte comme il se doit.
Je suis fier comme ARTABAN et je plane vers mon avion, tout gonflé d'orgueil. J'ai grandi de 10 cm en allant de l'Escadrille à mon Taxi.
Décollage sans problème et, comme le vol doit durer 2 heures, je m'éloigne hors de vue du terrain et, après m'être assuré qu'il n'y a pas d'autres avions dans le coin, je commence une séance de voltige au lieu de faire les exercices prescrits.
Au début c'est loin d'être joli. Comme j'ai omis de regarder à quelle vitesse il fallait commencer les figures, je fais ça au pifomètre, qui doit être passablement déréglé car je me ramasse de méchantes gamelles en me trouvant à trop faible vitesse au milieu des figures. Pas grave, l'engin déclenche et je me retrouve en vrille mais comme j'ai de l'eau sous la quille ça ne tire pas à conséquence. Petit à petit, en en rajoutant une louche par ci, une cuillère à soupe par là, je trouve les bonnes vitesses et ça marche.
Je suis jeune et en pleine forme alors " je me sonne la gueule un max. " pendant une heure, pour le plaisir.
Ensuite, pris de remords, je bâcle, en vitesse, les exercices que j'aurais dû faire.
Je rentre à la maison de plus en plus content de moi, je fais le circuit d'atterrissage et, en courte finale, toujours sur mon petit nuage rose, je me pointe avec 5 ou 10 noeuds de moins au Badin que préconisé ( L'anémomètre Badin, du nom de son inventeur, sert à mesurer la vitesse de l'avion par rapport à l'air. On dit, aussi, avoir <<tant >> à la pendule. ).
Et crac, à l'arrondi, la machine s'enfonce comme un pavé et je fais un atterrissage tellement dur que j'en ai mal à mes petites fesses roses. L'instructeur au starter m'annonce " Retournez au parking et faites vérifier le train ". Je redescends sur terre, c'est vraiment le cas de le dire !
J'entends la voix de Monsieur SAUTET, mon instructeur à l'aéro club, qui me disait d'une voix douce " Voyons, Monsieur CHEVILLET, c'est un avion, pas une merde; ça se pose, ça ne s'écrase pas ".
J'arrive au parking et tous les copains qui ne volent pas sont là à m'attendre avec des sourires narquois. Le " Grapevine " ( Téléphone Arabe ) a fonctionné. Je descends de l'avion, les oreilles basses et la queue entre les jambes. Pas fier du tout, le Bob, et en même temps furieux contre moi-même. Un copain me lance une réflexion vraiment désobligeante. Il tombe à pic. Je me mets dans une colère noire, je suis prêt à cogner et ça doit se voir car tout le monde se met, illico, à discuter innocemment de la pluie et du beau temps.
Mon instructeur, lui, me dit gentiment, pour me calmer, " Vous savez, ça m'est déjà arrivé et ça m'arrivera sûrement encore " ce qui met du baume sur mon amour-propre mortifié bien que je me dise, in petto, qu'avec son âge canonique ( 30 ou 32 ans ) il est normal qu'il commence à perdre ses réflexes. On est vraiment sans pitié à 19 ans.
Bref, je me suis couvert de ridicule ! Heureusement l'avion n'avait rien. Les Ricains construisent dans le massif.
Je fais mon examen de conscience. Je passe en revue toutes les conneries que j'ai faites. Je me répète au moins cent fois " Arrête de te conduire comme un jeune chien " et je prends la décision de travailler en parfait professionnel même si c'est chiant.
Hum ! Je n'ai pas toujours respecté mes bonnes résolutions.
2°- TRANCHES DE VIE A L'AMERICAINE DANS LE MISSISSIPI.
Nous débarquons du train, à GREENVILLE, après un long voyage. Non que GREENVILLE soit très loin de HONDO : 7 ou 800 km à vol d'oiseau mais ça en fait un bon millier par la voie ferrée et les trains Américains roulent lentement parce que les voies sont posées à même le sol, sans ballast comme chez nous. Quand le train passe dessus, on voit les rails s'enfoncer dans le sol puis remonter après le passage du train.
Tout le monde monte dans le car de l'US AIR FORCE qui nous attendait à la gare sauf trois Français: mes deux meilleurs copains et moi qui nous éclipsons discrètement. Nous avons décidé qu'après ce long voyage, nous irions bien prendre un pot en ville.
Nous montons dans un car civil et nous nous installons confortablement. A un arrêt, une vieille dame Noire ( Dans les 45 ans ) monte et reste debout car il n'y a plus de place assise. Nous nous levons comme un seul homme pour offrir notre place à cette Dame âgée ( Hé oui, ça se faisait à l'époque. ) qui la refuse avec véhémence tant et si bien que Jean-Claude et moi la prenons chacun par un bras et l'asseyons quasiment de force. On est galant ou on ne l'est pas !
Là-dessus il y a des mouvements divers dans le Bus. Des Ricains commencent à nous insulter mais, comme nous sommes assez bien taillés et visiblement prêts à en découdre, ça s'arrête là. On se demande ce qui leur prend.
Nous descendons au centre ville, en même temps que la vieille Dame ( Maintenant que j'ai 67 ans passé, les Dames de 45 ans me paraissent très jeunes ) qui nous appelle, nous remercie avec effusion et nous explique que le MISSISSIPI pratique la ségrégation raciale, que nous l'avons obligée à s'asseoir à une place réservée aux Blancs et que nous avons de la chance de ne pas nous être fait écharper. Surprise......
Nous nous excusons et rentrons dans le premier troquet venu. Le patron est Noir et commence à nous râler dessus parce que nous n'avons pas le droit d'entrer dans un bistrot pour Nègres. Re surprise..... Nous nous consultons et, quand il nous entend parler Français, nous dit qu'il a fait le débarquement en Normandie, nous demande de sortir immédiatement, de faire le tour du pâté de maisons et d'entrer par la porte de derrière.
Il nous reçoit comme des membres de sa famille et nous explique les lois ségrégationnistes de l'état du MISSISSIPI en nous précisant bien que le KU KLUX KLAN sévit toujours et qu'il serait bien capable de mettre le feu à son troquet et à le châtrer le cas échéant. Donc, nous pouvons revenir quand nous voulons mais de préférence à la nuit tombée et par la porte de derrière.
Nous en sommes comme deux ronds de flan. Les USA, défenseurs de la Liberté, de la veuve et de l'orphelin, etc, etc, ont bonne mine. Apparemment, la Liberté ne concerne ni les Indiens, ni les Noirs. Quand à l'égalité, comme l'écrivait G. ORWELL, " Il y en a qui sont plus égaux que d'autres.........".
II est vrai que nous sommes dans un état du Sud, donc sécessionniste, qui n'a pas encore pardonné aux états du Nord de leur avoir flanqué une bonne pile et d'avoir aboli l'esclavage.
La FRANCE est le pays de Cocagne pour tous ces Noirs.
Nous sommes adulés par ces gens qui voient en nous des représentants d'un pays ou ils sont traités d'égal à égal. Enfin, c'est ce qu'ils croient..........
Le MISSISSIPI est un état défavorisé. Il y a des quantités de Red Necks ( Cul-terreux ) qui vivotent de presque rien et se vengent sur les Noirs de leur triste condition.
Ne nous rengorgeons pas ! Allez donc visiter la FRANCE profonde et vous trouverez des tas de ces mêmes cul-terreux qui n'ont rien à envier aux red necks du MISSISSIPI, même en l'an 2001. Ils bouffent de l'Arabe, du Juif, du Noir, du Jaune, du Parisien et même des gars du village d'à côté. " Tous ces Putains d'étrangers qui sont même pas de chez nous nous emmerdent ! ".
Nous rentrons à la base avec plusieurs heures de retard et un officier nous demande des explications sur un ton réfrigérant.
Hélas, trois fois hélas, nous ne comprenons rien à ce qu'il nous demande et nous répondons à tout sauf aux questions qu'il nous pose. De sombres histoires d'envie pressante, de toilettes difficiles à trouver, de bus parti sans nous et de retour à pieds. C'est parfois drôlement pratique d'être étrangers et de mal connaître la langue.
Au bout de 10 minutes, écoeuré mais pas convaincu de notre innocence il nous " Dismiss " ( Vous pouvez disposer ) sans nous punir.
Jean-François nous fait remarquer qu'avec une technique pareille nous aurons un emploi tout trouvé, dans la politique ou comme représentant de commerce ( C'est la même chose ), si nous nous faisons virer de l'école de pilotage.
Je soutiens que non car nous sommes honnêtes, francs, scrupuleux et que nous avons un sens moral développé, tous vices rédhibitoires pour réussir dans la politique, et mes deux copains tombent d'accord avec moi.
POUR LES JEUNES : Ne vous imaginez pas que les hommes politiques actuels sont pires que ceux de ma jeunesse. Ils sont pareils !
Mais à cette époque les Juges étaient à leur botte et il n'y avait que les journalistes pour dévoiler les affaires qui, bien entendu, étaient rapidement étouffées et restaient sans suite.
Dans la tendre jeunesse de Papa, un politicien qui se faisait prendre à piquer dans la caisse se tirait, parfois, une balle dans la tête pour se racheter.
Vous vous rendez compte de l'hécatombe si ça se faisait encore ?
Il n'y aurait pas assez de place dans les cimetières !
Le lendemain de notre arrivée, les Ricains font un amphi, à toute la promo, sur les lois de ségrégation raciale en vigueur ici et sur les bêtises à ne pas faire pour ne pas s'attirer des histoires. Trop tard, nous trois, on sait déjà !
Mon e-mail : pluhaut@aol.com